CISR 2023 : Maître Charles-Henri Coppet interpelle la Première ministre, Madame Elisabeth Borne

Un comité interministériel de la sécurité routière s’est tenu le 17 juillet 2023. Le précédent, présidé par Edouard Philippe, avait eu lieu le 9 janvier 2018.

Dans ce cadre, Maître Charles-Henri Coppet a souhaité interpeller Madame Elisabeth Borne, première ministre, sur l’importance d’entendre la parole des personnes victimes de chocs traumatiques et de leurs proches. Une occasion également de revenir sur les mesures annoncées.

Madame la première ministre, savoir entendre les voix des victimes est une nécessité pour parvenir à une politique de sécurité routière fédératrice et pérenne.

Par Charles-Henri Coppet, président de l’association Sur ces maux, avocat spécialiste en droit du dommage corporel et défense exclusive des victimes

Madame la première ministre, nous tenons à votre disposition, un nombre incalculable de témoignages de victimes d’accidents de la route, dont la vie ne sera plus jamais la même et de proches qui indirectement ont vu leur vie basculer. Ces voix sont cruciales dans l’élaboration des prochaines mesures en faveur de la sécurité routière car elles livrent des perspectives précieuses sur les conséquences réelles et définitives de ces accidents. Leurs parcours et leurs expériences contribueront, sans aucun doute, à une politique publique de sécurité routière plus complète et plus efficace.

Au vu des prises de paroles de ces derniers mois autour des comportements routiers à risque, des circonstances aggravantes ou encore de la règlementation actuelle et des évolutions à venir, nous ne pouvons, nous résoudre à en déduire qu’il faudrait être « connu(e) » pour être entendu(e) sur les maux causés par les délits routiers.

A ce jour, 23 critères de discrimination sont fixés par la loi et répertoriés à l’article 225-1 du code pénal. Origine, sexe, situation de famille, handicap, situation économique… Faudrait-il y rajouter le critère « notoriété » ? La notoriété semble en effet avoir été un levier de réactions et une source d’action. Suite au terrible accident impliquant Pierre Palmade, les mesures envisagées pour contribuer à éviter de tels drames ont été reprises largement et légitimement : un retrait des 12 points du permis en cas de conduite sous stupéfiants et/ou alcool lors d’un accident mortel et une visite médicale de tout consommateur avéré de drogue pour que la conduite ne soit autorisée qu’à la suite de soins. L’introduction de la qualification d’homicide routier, pour les accidents mortels, avait également été relancée.

Actuellement, tout responsable d’accident est considéré comme un auteur d’infraction involontaire : il n’a pas volontairement voulu tuer ou blesser et les circonstances aggravantes viennent alors augmenter la peine pénale qui ne peut, quelles que soient les circonstances, excéder 10 ans de prison.

Aujourd’hui, vous annoncez, dans le cadre du Comité interministériel de la sécurité routière, la création de cette qualification d’homicide routier. Si la terminologie est essentielle pour se reconstruire car elle acte la reconnaissance, il est tout aussi fondamental de revoir les peines qui pourront être prononcées pour cet homicide. Le symbole ne saurait suffire pour contribuer à une culture de conduite responsable.

Par ailleurs, qu’adviendra-t-il du permis d’un responsable dans le cas où la victime est en vie mais grièvement blessée ? Comment seront jugés les responsables de victimes tétraplégiques, paraplégiques, amputées, traumatisées crâniens ? Rappelons qu’en 2022, 31867* personnes ont été gravement blessées sur les routes de France. Pour les responsables de ces accidents, ayant bu ou consommé des drogues, les 12 points seront ils conservés ? Qu’en est-il de l’alcool, responsable de 30%* de la mortalité routière, au regard des stupéfiants ? En cas d’alcoolémie positive, une visite médicale sera-t-elle envisagée pour pouvoir conduire à nouveau ?

En parallèle à ces mesures répressives, à partir du 1/01/2024, les excès de vitesse jusqu’à 5km/h n’entraineront plus de retrait de point. « Une diminution de 10% de la vitesse, c’est 10% d’accidents matériels, 20% d’accidents corporels et 40% de tués en moins. Un accident mortel sur deux est dû à une vitesse inadaptée. Réduire sa vitesse de 5 km/h, c’est diminuer de 20% le nombre des tués**».  La vitesse est à la fois un facteur déclencheur et aggravant d’accident. Déresponsabiliser les utilisateurs de la route pour de petits excès de vitesse est irresponsable. Laisser penser que le paiement d’une amende suffit pour dépasser les limites autorisées, l’est tout autant. N’est-ce pas, de surcroit, à nouveau discriminant ?

Des milliers d’accidents dramatiques tels que celui qui a fait réagir, à juste titre, pouvoirs publics, parties prenantes et citoyens, ont eu lieu ces dernières années et viennent souligner un cadre juridique et une prise en charge des victimes et de leurs proches, défaillants. Un enfant de 7 ans a été tué, alors qu’il se trouvait sur le trottoir, par une automobiliste alcoolisée et sous stupéfiants, qui a pris la fuite, avant d’être arrêtée. Cette conductrice blessera également grièvement la maman et le frère, qui devra être amputé. Inconnue du grand public, cette famille aurait surement accueilli comme une marque de soutien et de reconnaissance, qu’à la suite de cet homicide routier, la loi, les sanctions, les mesures de prévention soient reconsidérées. Et ce drame est hélas loin d’être isolé. Faut-il alors en déduire qu’il faille être connu(e), reconnu(e), pour que des mesures soient prises, que le cadre législatif soit interrogé, que la société réagisse ? Le critère « notoriété » doit-il être rajouté à l’article 225.1, pour éviter un traitement discriminant des accidents de la route ?

La question du traitement de l’accidentalité est large et multi-impactante. La place donnée à une personne décédée ou à une victime grièvement blessée, questionne en effet sur l’Egalité, rejoint la réflexion sur les droits des personnes en situation de handicap, interpelle sur un permis de conduire à vie ou encore sur la cohabitation de nos mobilités. Il est donc vital que les causes de ces accidents soient étudiées de manière approfondie pour développer des mesures de prévention efficaces et des sanctions adéquates. D’autant que les mesures qui seront prises révèleront la capacité de notre société à protéger ceux et celles qui la composent. Certes, il est aussi question de responsabilité individuelle et de nécessaire conscience collective mais il reste impératif que la réglementation soit juste, adaptée et appliquée.

Quotidiennement aux côtés des victimes et de leurs proches, nous vous appelons à mettre en place une politique publique qui tienne compte de leur réalité. Une écoute attentive des mots qu’elles posent sur leurs maux est indispensable.

* ONISR

**Source Sétra devenu le CEREMA, établissement public sous la tutelle du Ministère de la Transition écologique

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